Dans un entretien exclusif accordé à Charité News, samedi 16 janvier 2021, Boniface Musavuli, analyste politique congolais, spécialisé dans la recherche des questions de sécurité et de défense ainsi que des droits de l’homme, a passé en revu la situation sécuritaire qui prévaut actuellement dans la région de Beni, au Nord-Kivu, dans l’Est de la RD Congo.
Voici l’intégralité de l’entretien :
*Charité News : Quelle lecture faites-vous de la situation sécuritaire actuelle dans la région de Beni ?*
Boniface Musavuli : Concernant la situation sécuritaire actuelle de Beni, on assiste à un transfert des violences de la partie Nord-Est du territoire de Beni, c’est-à-dire Mbau, Oicha, Kokola, Eringeti vers le secteur de Ruwenzori qui est frontalier avec l’Ouganda et proche du massif de Ruwenzori, donc, vers Bulongo, Nzenga, Mutwanga, Mwenda, Loselose. Alors, que veut dire ce transfert des violences ? Ça reste à disséquer.
*Charité News : Que peuvent être les causes des massacres dans la région de Beni, au Nord-Kivu et dans une partie de l’Ituri ?*
Boniface Musavuli : Les causes officielles sont que les rebelles ougandais ADF ralliés à l’État islamique ont changé de mode opératoire. Et ce discours officiel est complètement bidon, un discours qui ne tient pas la route. Les causes réelles, selon mes recherches, que j’explique dans mon livre, sont qu’il y a eu des événements, il y a eu la disparition de 50 mille prisonniers au Rwanda, des prisonniers condamnés pour le génocide au Rwanda. Ces prisonniers là ont disparu des prisons du Rwanda. Ils sont allés où ? Lorsqu’on voit la façon dont on tue les populations à Beni et dans le Sud de l’Ituri. On découvre une sorte de signature de génocide rwandais. Donc, tant qu’on n’aura pas trouvé où sont partis les 50 mille réfugiés disparus des prisons du Rwanda, on ne peut pas comprendre ce qui ce passe à Beni et dans le Sud de l’Ituri. Il y a eu un autre phénomène, c’est l’expulsion des réfugiés rwandais qui étaient en Tanzanie, ils ont été expulsés. Ces réfugiés se sont retrouvés dans le territoire de Rutshuru contrôlé à l’époque par le M23. Lorsque le M23 a perdu ce territoire, ces populations rwandaises ont été renvoyées au Rwanda où elles ont reçu une formation militaire. Après avoir reçu une formation militaire, ces populations ont été envoyées à l’Est du Congo sous l’identité des Banyabwisha. Mais, lorsque nous avons vérifié dans la chefferie de Bwisha et dans le territoire de Masisi, il n’y avait pas de village qui se vidait. Donc, c’étaient des populations en provenance du Rwanda. Donc, si on ne comprend pas ces deux facteurs là, auxquels il faut ajouter l’accord du 23 mars 2009 qui consacrait le brassage des soldats du CNDP dans l’armée congolaise. Si on ne comprend pas ces facteurs, on ne peut pas comprendre ce qui se passe à Beni. Ce qui se passe à Beni, c’est l’arrivée des populations étrangères, parce que depuis toujours, la population de Beni vivrait en harmonie; les Mbuba, les Nande, les Pakombe, les Talinga, les Lese, les Mbuti, tout le monde vivait dans l’harmonie. Mais, à partir du moment où ces nouvelles populations sont arrivées à Beni, on a assisté à des tueries, à des massacres et à des destructions de justice sociale. La première cause, c’est l’arrivée de nouvelles populations criminalisées et militarisées en provenance du Rwanda. La deuxième cause, c’est l’accord du 23 mars 2009 de brassage et de mixage qui permis au CNDP qui est une force supplétive de l’armée rwandaise de déverser ses soldats dans l’armée congolaise.
*Charité News : Qui sont les vrais auteurs des tueries dans la région de Beni ?*
Boniface Musavuli : Les vrais auteurs des tueries à Beni sont dans ces vagues des populations et dans ces vagues des militaires. Mais, pour en avoir le cœur net, il faut qu’il y ait des procès publics. Pas à Beni, mais à Kinshasa parce qu’à Beni, les procès ne sont pas crédibles. Il faut que les individus qu’on attrape et dont on sait qu’ils ont participé aux massacres, soient transférés à Kinshasa où qu’ils soient auditionnés dans le cadre des procès publics. À partir de leurs témoignages, on peut remonter le fil de responsabilité jusqu’aux commanditaires. Mais, moi, comme chercheur, je suis tombé sur la conclusion que les massacres de Beni s’inscrivent dans deux dynamiques. La première étant les mécanismes de mixage et de brassage et la deuxième étant le transfert des populations en provenance du Rwanda expulsées de la Tanzanie et des prisonniers du Rwanda vers l’Est du Congo à Beni et dans le Sud de l’Ituri, notamment.
*Charité News : Qu’est-ce qui doit être fait concrètement pour mettre un terme à ces tueries répétitives à Beni ?*
Boniface Musavuli : La première chose qui doit être faite, c’est d’identifier avec précision les tueurs et les victimes. Qui sont les victimes qui ont été tuées à Oicha, Halungupa, Mwenda, Kamango ? Il faut qu’il y ait un bureau d’identification des victimes. À côté de ce bureau d’identification des victimes, il faut qu’on mette en place un bureau d’identification des auteurs des crimes parce que les tueurs sont souvent décrits de façon précise par les victimes. Et ces tueurs, lorsqu’ils sont décrits de façon précise, ils doivent faire l’objet de recherche spécifique par la Police et l’armée. Mais, la police et l’armée actuelles dans la région de Beni ont déjà perdu leur crédibilité. Il faut donc une nouvelle force envoyée à Beni en remplacement des forces qui sont actuelles. Il faut remplacer tous les responsables de la police et de l’armée qui sont actuellement à Beni, y compris les responsables des services de renseignement. Il faut les remplacer tous et envoyer de nouvelles équipes pour pouvoir identifier victimes les tueurs avec précision et organiser leur recherche, leur arrestation et leur transfèrement devant les tribunaux congolais soit devant la CPI parce que nous sommes en face des crimes contre l’humanité voire le génocide. Donc, il faut mener ce travail là, identifier les victimes, identifier les auteurs des massacres et identifier aussi les commanditaires des massacres, dont certains se trouvent à Kinshasa, les arrêter et déposer des dossiers à la Cour pénale internationale.
Depuis octobre 2014, la région de Beni fait face à la répétition des tueries des personnes attribuées aux combattants d’Allied Democratic Forces (ADF).
Fabrice Ngima