RDC : DISSOLUTION DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE

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*Dissolution de l’Assemblée nationale : l’analyse _de lege lata_ d’un pouvoir discrétionnaire indiscutable.*
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< < _L’on peut encore imaginer que le dysfonctionnement des pouvoirs publics trouve son origine dans les menaces d’user de motions de défiance, brandies ou cachées, contre certains ministres ; les menaces ouvertes ou cachées de destitution d’un Président de la République…Le Président de la République, unique juge de l’existence ou non d’une crise persistante, pourrait demander au Peuple de trancher le différends en prononçant la dissolution.._ .>>

[ Éric Bilale ]

L’article 148 de la Constitution est à considérer comme *l’article – socle* de l’intimité entre un Président de la République élu au suffrage universel direct et le Peuple, souverain primaire, son mandant. Cette disposition incarne la dimension pratique de l’arbitrage du Chef de l’Etat dans le cadre du bon fonctionnement des institutions. C’est aussi un moyen pour lui d’appeler le Peuple aux urnes pour exprimer sa volonté. Ainsi Charles De Gaulle dans le discours de Bayeux, se fondant sur l’article 12 C. de la Constitution de 1958 qui invoque le droit de dissolution, déclare-t-il : << _au Chef de l’Etat l’attribution de servir d’arbitre au dessus des contingences politiques…, dans les moments de grande confusion, en invitant le pays à faire connaître, par des élections, sa décision souveraine_ .>>

Pour paraphraser, de façon adaptative, Michel Lascombe [ dans _Le droit constitutionnel de la Ve République,_ 10 ème édition, l’Harmattan], en calquant sur le modèle français les dispositions de l’article 148 de la Constitution du 18 février 2006, *leurs auteurs ont rétabli le caractère discrétionnaire que ce pouvoir avait connu autrefois dans ses origines, qu’il a toujours connu sous la 5ème République française actuelle et en ont fait un acte présidentiel non soumis au contreseing.* Par ailleurs, les formalités générales de sa mise en oeuvre sont particulièrement légères. La Constitution prévoit simplement que le Président de la République consulte le Premier ministre et les Présidents des deux Assemblées. L’avis de ces personnalités n’a guère d’importance, c’est avis facultatif, non contraignant (et non un avis conforme ou contraignant) ; le Président de la République peut, nonobstant leur avis défavorable, prononcer la dissolution. Du reste, en 1981, 1988 et 1997 le Président de l’Assemblée nationale a donné un avis défavorable avant que ne soient prononcées ces dissolutions en France.

Dans la pratique, les dissolutions ont été prononcées même pour résoudre les crises estudiantines et sociales montantes : le cas de la deuxième dissolution de la 5ème République en France (1968).

Bon, je préfère être un peu didactique en donnant quelques éléments – clefs :
*1. L’acte de dissolution n’est pas soumis au contreseing.* C’est impossible et, voire erroné d’imaginer pareilles hypothèses. Si le contreseing du Premier ministre n’est pas un acte _ad solemnitatem_ , c’est-à-dire que l’on peut s’en passer même pour les ordonnances sur lesquelles il est possible, sans que la validité desdites ordonnances ne soit mise en cause, il est quand même établi que le contreseing est uniquement un *acte de responsabilité.* Le contreseing du Premier ministre suppose que pour ces ordonnances – là, le Premier ministre peut être convoqué, interpellé, interrogé oralement ou par écrit et, éventuellement, engager sa responsabilité et/ou celle du Gouvernement par une motion de défiance [à préciser ici qu’une motion de défiance contre le Premier ministre a des conséquences de motion de censure, un Premier ministre démissionnaire part avec son Gouvernement ]. Or, la dissolution vise exactement la neutralisation de ce contrôleur du Premier ministre, va-t-il apposer son contreseing pour engager sa responsabilité devant quelle institution ? Le Président de la République ? Non, nous ne sommes pas dans un parlementarisme dualiste.

*2. L’acte de dissolution, au-delà de son caractère discrétionnaire, est un acte de Gouvernement.* C’est quoi un acte de Gouvernement ? C’est un acte dont le caractère éminemment politique empêche tout juge d’en connaître, un acte qui échappe au contrôle du juge compte tenu de son caractère éminemment politique. Il y a plusieurs catégories d’actes de gouvernement : ceux régissant les rapports entre Exécutif et législatifs, entre le Gouvernement et les gouvernements étrangers…;

Bon, pour des raisons historiques, tenant compte des leçons du passé et de l’expérience malheureuse du règne de Charles X, la Constitution française, que nous avons importée fidèlement dans ces dispositions de dissolution et dans certaines autres, fait interdiction de prononcer la dissolution pendant l’année qui suit les élections législatives anticipées. Ainsi, deux dissolutions ne peuvent se suivre ; l’Assemblée élue à la suite d’une dissolution est assurée au moins de rester un an. Ensuite, pour éviter que l’on puisse se servir de la dissolution dans les moments déjà troublés par ailleurs, son usage est interdit durant la mise en oeuvre des pouvoirs exceptionnels (temps de guerre par exemple…) ainsi que durant l’intérim présidentiel. C’est exactement ce que prévoit aussi la Constitution du 18 février 2006.

*Pour clore, à l’attention des esprits qui pensent encore, dans la pratique de la dissolution, il n’est pas nécessaire que dissolution et crise soient liées comme dans la 4 ème République française ; il suffit que la dissolution puisse être prononcée presque à tout moment, sans que le Chef du Gouvernement ait à intervenir. Le droit constitutionnel c’est aussi ce que font les acteurs politiques. Je ne suis pas fétichiste juridique, je ne fais pas le culte de texte. Je suis attaché au droit constitutionnel appliqué. Le Constituant fait donc de la dissolution un pouvoir discrétionnaire du Président de la République, dispensé du contreseing. L’usage de ce droit montre que le risque encouru par les parlementaires n’est pas seulement théorique. La dissolution a un autre aspect. Pouvoir sans contreseing, elle est un pouvoir discrétionnaire indiscutable du Président de la République qu’il peut réellement mettre en oeuvre seul, selon que lui seul estime qu’il y a crise ou pas, crise suffisante ou pas.*

Me ERIC BILALE